Comme des rois : “Si je mélange les genres, c’est parce que la vie le fait”, explique le réalisateur Xabi Molia

Après “8 fois debout” et “Les Conquérants”, Xabi Molia mélange encore légèreté et gravité dans “Comme des rois”, comédie sociale emmenée par Kad Merad et que son réalisateur évoque à notre micro.

Et de trois pour le cinéaste et romancier Xabi Molia ! Avec Comme des rois, il signe son troisième long métrage de fiction, après 8 fois debout et Les Conquérants. Et une nouvelle comédie sociale. Et c’est grâce à Kad Merad qu’il nous conte cette histoire de petites combines entre un père et son fils, alors que ce dernier rêve d’art dramatique, qui trouve sa source dans… une anecdote personnelle.

AlloCiné : L’idée initiale de “Comme des rois” vous serait venue d’une histoire qui vous est arrivée.
Xabi Molia : Oui, j’adore qu’on me raconte des histoires. Je suis assez crédule même, une bonne cible pour des petits escrocs, et je me suis fait escroquer plusieurs fois de manière rocambolesque – jamais pour beaucoup d’argent. Un jour, alors que j’allais donner des cours à la fac de Poitiers, je suis arrivé très en avance dans mon train, ce qui a vraiment fait de moi une bonne cible car le type a vu qu’il aurait du temps. Il me raconte une histoire dont je vous passe les détails et dans laquelle il me dit qu’il a besoin d’argent, et il me soutire vingt euros. Échaudé par plusieurs affaires précédentes, je sens venir le truc et je suis méfiant.

Je lui pose des questions, je le pousse un peu dans ses retranchements, et il arrive à emballer son histoire, si bien que je lui file vingt euros en me disant que c’est sûrement une arnaque… mais qu’en même temps, si son histoire est vraie, je ne veux pas être la salopard qui n’aura pas aidé un type dans le besoin. Sauf qu’il était censé remonter dans le train et ne l’a jamais fait. Au début, j’étais un peu blessé d’avoir perdu cet argent, mais après coup, je me suis demandé quelle était la vie de ce mec tout en ayant conscience qu’il avait durement gagné ces vingt euros, même s’il ne s’agissait que de ça.

Je me suis rendu compte que c’était un métier, qu’il avait travaillé pour avoir ce peu d’argent, en sachant que ça ne doit pas être facile, dans la France d’aujourd’hui, ces métiers de contact car personne ne veut qu’on l’approche. J’ai donc commencé à imaginer la vie de ce mec, et comme je le voyais un peu comme un artisan, c’est comme ça qu’est venue l’idée de la transmission du savoir-faire et de l’entreprise, qui est la problématique de beaucoup d’artisans. C’est comme ça qu’est apparu le tandem père-fils avec l’idée d’un père flamboyant et talentueux dans ce qu’il fait, et d’un fils moins bon, peut-être parce qu’il a moins envie de faire ça.

A moins que ce ne soit nécessaire, je n’ai pas envie d’ancrer le film dans une région particulière

Cette idée de transmission était déjà présente dans “Les Conquérants” et dans le fait que vous donniez des cours. C’est un élément qui paraît central dans votre travail.
Oui, je n’ai jamais vraiment réfléchi à ce qui motive la présence de ce thème. Mais ce que je sais, au sujet des Conquérants, c’est que c’est l’histoire de deux demi-frères dont le père est mort. Donc hors-champ, à l’exception d’une apparition spectrale. Comme des rois me permettait, en quelque sorte, de faire entrer le père dans le cadre. Étant moi-même devenu père d’enfants qui ont 7 et 4 ans, je me suis posé la question de la transmission, en me posant la question “Et si je devenais un mauvais père alors que je veux en être un bon ? Est-ce qu’avec les meilleures intentions du monde on ne peut pas faire du mal aux gens ?”

C’est vrai des relations amoureuses mais également familiales. Je pense appartenir à une génération de jeunes parents dix fois trop inquiets, présents, à tel point que l’on risque de les priver de confiance en eux, d’autonomie ou de capacité à tracer leur propre chemin, parce qu’on veut avoir un débriefing de la prof dès qu’on les inscrit à un atelier de poterie, on veut savoir qui sont leurs copains, on voudrait presque s’occuper de leur page Facebook pour être sûrs qu’ils ont un réseau…

On peut être un père bien intentionné tout en étant encombrant, toxique. Je pense que Joseph a un amour pour son fils et il pense qu’il ne s’en sortira jamais sans lui. Il ne veut pas qu’il s’en aille. C’est donc de l’amour, et en même temps celui-ci ne pourra pas voler de ses propres ailes tant qu’ils seront comme ça. Il faut aussi que le regard change, et Comme des rois raconte l’histoire d’un regard qui doit changer. Et sans raconter la fin du film, la dernière scène montre ça : un regard d’un fils sur son père, mais plus celui qu’il avait 1h20 plus tôt.

Vous avez parlé de “France d’aujourd’hui” en évoquant l’anecdote à l’origine de “Comme des rois”, et c’est aussi ce qui résume le film, qui est autant une histoire père-fils qu’un panorama.
Oui, complètement. Je me souviens, quand nous avons commencé à travailler avec mon co-scénariste, que nous avions envie de faire un film sur la France d’aujourd’hui. Nous étions fin 2014 et je ne pense pas que nous soyons sortis de la crise actuellement, mais c’était très morose et nous nous demandions comment nous pouvions raconter cette France de la précarité, de la débrouille, où les fins de mois sont difficiles et où l’on vit sous la menace d’une dégradation. Ou d’une expulsion dans la cas des personnages du film.

Je me suis alors dit que nous pouvions entrer dans cette France par ce couple d’escrocs, ce qui est plus singulier qu’une usine qui ferme ou le monde du travail, que l’on voit plus fréquement lorsque l’on parle de la crise. Ça nous semblait plus singulier, plus drôle. Et on se disait que ces escrocs, ayant le couteau sous la gorge, étaient obligés de traverser toutes les Frances, d’aller dans plein de quartiers. C’est aussi pour cela que c’était une envie de cinéma et non de roman : l’idée qu’on allait voir juxtaposés différents espaces et sous-espaces de la France d’aujourd’hui. Il y a la banlieue, les quartiers pavillonnaires, la maison bourgeoise où Micka se fait passer pour un prof de guitare, la zone industrielle… Une idée de traversée, comme dans le roman picaresque où le héros passe par toutes les strates de la société.

Click Here: cheap INTERNATIONAL jersey

C’est pour cela que, à part Paris, on ne sait pas clairement où le film se déroule ?
Oui et c’était déjà le cas dans mes deux précédents films. À moins que ce ne soit nécessaire, je n’ai pas envie d’ancrer le film dans une région particulière. Ça n’est pas un film qui avait besoin d’être méridional, ch’ti ou gascon mais ce qui m’intéresse, et je m’en rends compte de film en film, c’est de travailler sur une France intermédiaire, des espaces qui n’ont pas de relief particulier mais représentent la trame de toute nos existences : les périphéries de Bayonne, Grenoble ou Angoulême se ressemblent aujourd’hui, avec des grands ensembles, des zones ferroviaires partout, des HLM…

C’est cette France ordinaire que j’ai envie de montrer mais pas une France en particulier. Je voulais en revanche montrer la distance par rapport à Paris : je viens de Bayonne et, en tant que provincial, j’ai vécu ce que c’est que de rêver d’une carrière artistique qui doit se passer à Paris et l’idée qu’on en est loin, que c’est inaccessible : comment je vais me loger, y travailler ? Est-ce que je vais faire mon trou dans ce milieu qui a l’air si difficile d’accès ? Je pense que beaucoup de gens qui vivent en-dehors de Paris ont ces interrogations.

Il y a toujours de la comédie dans le drame

On retrouve cette volonté de ne pas trop ancrer le récit dans une réalité au niveau du ton, ni misérabiliste ni trop comique. On est plus dans ce que l’on appelle la dramédie dans les séries.
Les Américains aiment employer ce terme oui. Quand vous abordez un sujet social en France, qu’il s’agisse de la précarité ou d’une forme de misère, il y a une tradition cinématographique qui fait que le film est ancré dans une forme de gravité et parfois, malheureusement, de misérabilisme. C’est-à-dire que les choses sont accentuées au point que cela en devient invraisemblable : un pauvre y est forcément moche et mal habillé. Moi je n’ai jamais eu la conviction que cela se passait comme ça.

Et, entre Les Conquérants et Comme des rois, j’ai fait un documentaire pour Arte qui s’appelle Le Terrain. Avec ma soeur Agnès, qui l’a co-réalisé, nous avons passé un peu plus d’un an à Aubervilliers, l’une des villes les pauvres de France et dans l’un de ses quartiers difficiles, où l’on filmait des jeunes footballeurs qui rêvaient de devenir pros. On allait pour y filmer la misère, mais on ne l’a pas vue sous une forme criante. Les gamins étaient hyper bien habillés par exemple : pas dans l’uniforme racaille que l’on imagine, ils étaient classes, il y avait de l’élégance.

Si je m’intéresse au mélange des genres, à la dramédie si l’on veut, c’est parce que la vie est mélangée. Parce que je n’ai pas vu la désespérance dans ces quartiers. J’ai vu des situations hyper difficiles, des gamins qui n’avaient pas toujours suffisamment à manger au quotidien. Mais les gens ne baissaient pas les bras. Il n’y avait pas de noirceur mais de la tchatche, beaucoup d’autodérision, de l’humour. Ce documentaire a été très important dans la préparation de Comme des rois car j’ai pu affermir mes convictions grâce au Terrain, en me disant que si je mélange les genres, c’est parce que la vie le fait. Ça n’est pas un parti pris esthétique, c’est qu’il y a toujours de la comédie dans le drame. Il n’y a pas peut-être pas la place pour un seul éclat de rire dans des situations hyper désespérées, mais je n’ai pas vu ça. Et comme je ne l’ai pas vu, ce n’est pas ce que j’ai envie de transmettre.

Les Anglais, ou les Italiens dans les années 60, ne se sont jamais privés de faire ça : le premier Ken Loach [Cathy Come Home, ndlr], c’est clairement ma référence quand je fais Comme des rois. Un film comme Raining Stones, qui s’ouvre sur deux bras de cassés qui essayent de kidnapper des moutons pour en faire des côtelettes qu’il espèrent écouler dans les pubs, c’est des scènes hyper drôles, presque burlesques, mais également hyper dures, avec ce collecteur de dettes qui vient réclamer de l’argent. C’est filmé au cordeau et ça me prend aux tripes. Tout ceci peut cohabiter dans un film, et je me dis que cela aide quand vous voyez un grand maître faire et réussir ça. En tant qu’apprenti cinéaste, ça me conforte dans l’idée que l’on peut essayer.

On pense aussi à Chaplin, qui savait aborder des sujets graves de façon très légère. Aussi bien dans ce film que dans vos précédents.
Ce qui m’a frappé dans Le Kid, c’est cette phrase en exergue, qui dit qu’il s’agit d’un “film avec un sourire et peut-être une larme”. Et en le voyant j’ai su que c’était exactement ce que je voulais faire. Si on peut à la fois sourire et être pris aux tripes dans mes films, naviguer entre des émotions contradictoires mais qui ne s’excluent pas l’une et l’autre, ce serait super. Chaplin, c’est vraiment dans la lignée de ce que je veux faire.

Est-ce grâce à cette volonté de mélanger les genres que vous vous autorisez à avoir un acteur aussi connu que Kad Merad, là où cela pourrait parasiter un film qui joue la carte sociale avec le plus grand sérieux ?
Je me suis beaucoup posé la question, à son sujet comme celui de Sylvie Testud. Mais j’avais confiance dans la démarche de Kad, car je sentais qu’il venait faire ce film pour des bonnes raisons : parce qu’il avait très envie du rôle, parce que ça lui parlait, parce qu’il a lui-même fait du porte-à-porte – pas en tant qu’escroc -, parce qu’il vient des banlieues pavillonnaires…

Je n’avais pas trop de doutes mais j’ai beaucoup réfléchi à la manière des les faire entrer dans le film. J’ai voulu qu’ils soient déjà là avant que vous ne vous en rendiez compte, comme dans la première scène, où Sylvie Testud est de dos, en mouvement. Et lorsqu’on la reconnaît, ça fait déjà quarante secondes qu’elle est là. Pareil pour Kad Merad. J’ai fait attention à une manière très nerveuse et organique de nous faire rentrer avec les personnages, pour que l’on soit avec eux avant que l’acteur et sa notioriété ne fassent écran.

Qu’est-ce qui vous a mené vers Kad Merad pour ce rôle ?
Mon cinéma étant étiqueté “Art & Essai”, il n’y avait aucune raison pour que je situe Kad Merad dans mon radar, car il est abonné depuis dix ans à des rôles populaires et comédies grand public. Mais je suis tombé sur Baron Noir, et c’est vraiment la série qui change mon regard sur lui du tout au tout, au moment où je suis à la recherche de mon interprète, en sachant que certains lecteurs du scénario attirent mon attention sur la potentielle noirceur du personnage. Moi je sais qu’il n’y a pas que ça en lui, mais c’est un signal d’alarme qui me fait comprendre que je dois trouver un acteur capable de susciter de l’empathie. Par plein de côtés c’est un sale type, mais c’est un aussi un type au bout du rouleau, qui a le couteau sous la gorge et veut subvenir aux besoins de sa famille.

Dans Baron Noir, Kad Merad joue un politicien véreux, mais nous sommes avec lui. Nous avons envie qu’il y arrive. Il possède cette chaleur qui fait qu’on annule notre jugement sur lui ainsi que la distance. Vous êtes avec lui. Et je connaissais son potentiel comique, mais dans la série il démontre une amplitude de jeu car c’est très simple ce qu’il fait, je ne vois pas l’acteur qui se replie sur ses tics d’acteur. Je sens qu’il y a vraiment un comédien là.

J’ai fait attention à une manière très nerveuse et organique de nous faire rentrer avec les personnages, pour que l’on soit avec eux avant que l’acteur et sa notioriété ne fassent écran

Et c’est une fois Kad Merad casté que vous vous êtes tourné vers Kacey Mottet Klein ?
Oui. Il y a des acteurs que je n’aurais pas pu choisir pour des raisons physiques et des questions de vraisemblance, puisqu’ils devaient jouer un père et un fils. Et je trouve que Kacey est un assez bon mélange entre des choses de Sylvie et des choses de Kad (rires) Dans la mesure où Kad Merad allait jouer Joseph, il me fallait un acteur avec un peu de vécu cinématographique, car je savais que j’allais tourner dans des conditions sportives et un peu difficiles, et que Kad avait besoin de quelqu’un qui ait l’air insolite face à lui.

Un tournage, c’est rarement un conte de fées car c’est fatigant, physiquement et psychologiquement, donc il me fallait quelqu’un avec du vécu, ce qui a restreint mon choix, car j’aurais pu prendre un parfait inconnu. Il fallait quelqu’un capable de tenir la baraque face à Kad Merad, et j’ai vu Kacey dans Keeper, dans lequel il y a déjà cette amplitude de jeu, puisque c’est l’histoire d’un très jeune garçon qui va devenir père car sa nana décide de garder leur bébé. Le personnage est donc à cheval entre l’enfance et le monde adulte. Comme Micka, qui est sous la dépendance de son père, mais veut en même temps se libérer de cette emprise. Et Kacey a quelque chose d’hyper énergique, dur, rebelle. Et il l’apporte encore plus au personnage que ce que j’avais prévu dans le scénario.

Il incarne aussi cet optimisme que l’on retrouve dans tous vos titres, et qui parlent de se relever, d’aller de l’avant, de rêver à une vie meilleure.
Il y a aussi une forme d’ironie, car j’imaginais déjà ce que serait l’affiche, avec le type et son visage tabassé. Et c’est une histoire de bras cassés. Mais il y a une forme d’optimisme parce que mes personnages sont debouts, ils ont l’impression que cela peut aller : Joseph a toujours l’impression qu’il va se refaire par exemple, un peu comme un joueur ; et Micka n’est pas encore à l’âge où l’on est résigné à ne pas sortir de son milieu. Il pense que c’est encore possible et c’est peut-être ce qui le sépare de sa sœur, qui a peut-être fait une croix sur une autre vie. Lui pense encore qu’il peut se réinventer, et le film est porté par cette luminosité.

Vos trois films parlent de la France actuelle, de différentes façons : est-ce que cela signifie que vous ne pourriez pas faire de film historique ou futuriste ?
Tous mes projets actuels sont de l’anticipation (rires) Ça n’est pas un hasard si j’ai fait tout ça, car j’étais préoccupé par la France qui m’entoure. Il y a des réalisateurs et des écrivains qui tracent toujours un peu le même sillon, et c’est très bien : Modiano se répète de livre en livre, mais on l’aime pour ça ; il y a une forme de familiarité chez Woody Allen et son univers ; pareil avec Ken Loach et Robert Guédiguian, qui sont aussi des cinéastes sociaux. Je ne pense pas que ce sera le fil conducteur de tout ma filmographie. J’y reviendrai sans doute, mais là j’ai plutôt envie d’aller vers des choses très différentes.

Le mélange de ces deux registres devrait cependant rester un fil conducteur. J’ai de plus en plus envie de faire sourire, de faire de la comédie. Mais je ne peux pas en faire une qui soit complètement libérée d’enjeux qui me prennent aux tripes. J’ai besoin que, en tant que spectateur, ma gorge puisse se serrer car je réalise que ce que je vois est drôle mais que ces personnages me touchent. Si j’ai la chance faire d’autres films, la continuité sera à ce niveau, même s’il serait plus simple pour ma carrière de refaire une comédie sociale. Peut-être que je le referai, mais là j’ai plutôt envie d’aller dans des endroits où je ne suis pas allé. C’est mon carburant, aussi bien là que dans l’écriture romanesque.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 19 avril 2018

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *