Avec Brooklyn Village, Ira Sachs voulait “faire un film pour enfants qui ne soit pas immature”

Lauréat du Grand Prix du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, “Brooklyn Village” confirme le talent d’Ira Sachs lorsqu’il s’agit de composer des histoires justes et belles. Et personnelles, comme il l’explique en interview.

Habitué du Festival du Cinéma Américain de Deauville et grand amateur de films français, Ira Sachs est pourtant l’un des cinéastes les plus new-yorkais à s’être illustré sur les planches. La preuve avec Love is Strange, présenté en Compétition en 2014, ou ce Brooklyn Village, qui a offert à son réalisateur son premier prix en Normandie. Et le plus important de cette 42ème édition, juste récompense pour un long métrage qui ne l’est pas moins.

AlloCiné : Il y a deux ans, “Love is Strange” débutait avec un mariage, alors que ce film commence par un enterrement. Est-ce une façon de l’inscrire dans le prolongement du précédent ?
Ira Sachs : Je dirais plutôt que mes films commencent dans un espace très large et j’essaye d’inviter mon public dans un monde, donc ces cérémonies, qu’il s’agisse de mariages, d’enterrements ou de fêtes, servent d’introduction à une communauté. Forty Shades of Blue s’ouvrait d’ailleurs sur une grosse fête. Cela permet de commencer largement pour resserrer de plus en plus le point de vue ensuite, et faire en sorte que vous connaissiez les personnages de façon plus intime.

L’une des grandes forces du film, comme le précédent, est sa simplicité, à tel point que l’on pourrait presque le re-baptiser “Adolescence is Strange”, à cause de l’esprit qu’ils partagent.
Ce qui est drôle que nous avions un titre, que nous avons fini par laisser tomber, mais qui est devenu celui d’une rétrospective que le MoMA (Museum of Modern Art) de New York m’a consacrée cet été en montrant tous mes films. Et c’était : “Thank You For Being Honest” (“Merci d’être honnête”). Pour moi, il est difficile d’être honnête en ce qui concerne l’expérience et ce que l’on est, et on le retrouve dans mes films. Et dans celui-ci, c’est vraiment le personnage de Greg Kinnear qui lutte pour dire ce qu’il doit dire.

Je n’ai pas l’impression d’exister dans une génération mais dans trois

Vous semblez être intéressé par l’idée de mettre en scène des générations : des adultes dans “Love is Strange”, et des adolescents ici.
Oui, et je pense que c’est une question de perspective. En tant qu’homme cinquantenaire, je peux ainsi me rappeler de ma jeunesse de façon intime, et envisager mon futur, en me servant de mes différentes relations avec mes parents et de ce qu’ils sont devenus au fil des années, au même titre que ma responsabilité envers eux, ou la connexion que nous partageons. Ce sont des choses auxquelles je pense, et je suis moi-même parent puisque j’ai deux enfants âgés de 4 ans. Je n’ai donc pas l’impression d’exister dans une seule génération mais dans trois.

Le fait de devenir père a-t-il été l’un des moteurs de ce projet ?
Ça l’a été dans le sens où je cherchais à faire un film sur la jeunesse qui ne soit pas immature. Je pense qu’il y a aujourd’hui un nivellement par le bas dans les films pour enfants, alors que je me souviens de films tels que Kes, Les Quatre cents coups ou Le Ballon rouge, qui s’intéressaient à la question de l’enfance en restant sophistiqués sur le plan cinématographique. Et je voulais en faire un qui s’inscrive dans cette lignée.

D’autres films vous ont-ils inspiré ?
A l’origine, il y avait ces deux films d’Ozu, Et pourtant nous sommes nés et Bonjour, qui parlent d’enfants qui font la grève contre leurs parents, et dont nous nous sommes inspirés pour notre scénario. Et pour ce qui est de la stratégie visuelle, mon chef opérateur et moi avons étudié de près Mes petites amoureuses de Jean Eustache et L’Enfance nue de Maurice Pialat , pour trouver des façons de dépeindre l’enfance grâce à une caméra.

“Brooklyn Village” est le troisième film que vous co-écrivez avec Mauricio Zacharias. Quelle est votre méthode de travail ?
A ce stade, nous avons un processus très établi : nous avons l’habitude de nous voir pour parler de la vie et de films, ceux-ci nous servant ensuite à trouver des intrigues. Et la vie pour réussir pour être liés à l’expérience de façon très personnelle. Pour Brooklyn Village, nous avons donc parlé des films d’Ozu que j’ai cités plus tôt et, dans le même temps, la famille de Mauricio possédait un magasin à Rio dont elle essayait d’expulser la propriétaire. Et c’est en l’entendant parler de cette expérience que j’ai pensé que nous pourrions en tirer un film.

Ces allers et retours sont assez fréquents, et Mauricio rédige une première version, une fois que nous avons établi la forme de l’histoire et les personnages, puis je me charge de la seconde, et nous allons et venons à partir de là. Mais c’est lui qui se charge de ce que je considère comme étant le plus dur, à savoir noircir des pages blanches.

Avez-vous mis dans le film beaucoup d’éléments de votre enfance ? Surtout dans les passages où il est question d’art ?
Oui, beaucoup. J’ai grandi à Memphis dans les années 60 et 70, et j’ai été impliqué dans un théâtre pour enfants, ce qui était un environnement utopique car les communautés y étaient vraiment intégrées, qu’il s’agisse de classes, de sexualité ou de races, mais je ne l’ai jamais revu ailleurs. Dans un sens, l’innocence de ces enfants qui se rassemblent et leur désir d’être artistes est quelque chose qui m’est très familier. J’ai aussi beaucoup pensé à mon mari, qui a déménagé à New York quand il avait 10 ans, avec sa mère équatorienne célibataire, et qui était un enfant créatif désireux d’intégrer l’école d’arts de LaGuardia, ce qu’il a fini par faire. Et son histoire était importante pour moi.

90% du film sont écrits

Comment avez-vous choisi Michael Barbieri, dont c’est le premier film ?
Grâce à un casting ouvert à New York. Nous avions déjà trouvé Theo Taplitz [interprète de Jake, ndlr] en passant par un agent et ma directrice de casting, et nous avons ensuite cherché plus largement. Michael n’avait jamais joué dans un film, mais il étudiait l’art dramatique au Lee Strasberg Institute. Et c’est d’ailleurs son professeur, Mauricio Bustamante, que l’on voit dans le film.

Dès que j’ai rencontré Michael, j’ai su qu’il marquerait le public, car il possède une personnalité authentique et très new-yorkaise : il vient de New York, tout comme ses parents, et ses grands-parents y ont immigré. Il a encore ce dialecte original qui lui est propre, et donne au film sa spécificité.

Laissez-vous vos acteurs improviser pour parvenir à cette authenticité, cette honnêteté dont vous parlez régulièrement ?
Je ne fais pas de répétitions avant le début du tournage, je parle juste aux acteurs de leurs personnages respectifs, et je fais en sorte de mettre en place des situations qui leur permettent de passer du temps ensemble, sans moi. Mais je dirais que 90% du film sont écrits. Et les 10% restants représentent des scènes bien précises où l’univers m’intéresse plus que les dialogues. C’est le cas, ici, avec l’enterrement ou le cours d’art dramatique. Ou lorsque les enfants sortent ensemble après l’école. Ces scènes sont improvisées. Et Michael m’a beaucoup fait penser à un acteur de Scorsese comme Joe Pesci, donc j’ai voulu lui laisser la place d’être lui-même et certaines scènes reposent sur ce potentiel.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 9 septembre 2016

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